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AVANT ACCIDENT

posté le 29-07-2008 à 23:12:49

Peu de refus.

Les forains avaient installé leurs stands sur les bas côtés de la nationale ou sur des champs moissonnés. Pêche miraculeuse, jeux de massacre, bazar...Les paysans avaient organisé des jeux rituels : mât de cocagne, courses au sac, pièces au chaudron noir, anneaux magiques.

Passants et indigènes se mêlaient. Discutaient. Riaient des déboires des uns. Applaudissaient aux prouesses des autres.

Les enfants se poursuivaient au milieu de cette foule inhabituelle et  joyeuse. Tous attendaient le bal musette du soir et le festin à la belle étoile.

 

L'orchestre avait monté sa piste, close et couverte,  en une matinée. Le directeur avait tamponné le poignet de toute la maisonnée. Grand-père offrant l'emplacement de son champ, la gratuité pour l'entrée était accordée à toute la famille.

 

Après-midi et soirée du dimanche les gamins entrèrent et sortirent à volonté. L'orchestre n'arrêta pas de 15hheures  l'aube. Même si parfois peu de musiciens tenaient l'estrade, leurs collègues se restaurant.

Sur les petits bancs adossés aux parois mobiles, les madames et les mademoiselles attendaient leur chevalier servant. Peu de refus. Beaucoup de bonne humeur. Quelques sorties discrètes...

 

Ce fut la meilleure journée de la première partie des vacances.

Nanette nota seulement que le ciel nocture, dans le pays de son papa, était sombre.

Peu étoilé. Pas comme la voûte céleste de sa Provence natale.

 


 
 
posté le 30-07-2008 à 06:34:58

...quelques tartines de rillettes.

La quinzaine touchait à sa fin. Plus qu'un samedi-dimanche. Lundi l'interminable trajet du retour. Pour finir "en beauté" le doux géant et la patronne organisèrent une réunion familiale. Tous les enfants et les petits enfants furent réunis. Entre couchages sommaires et accueil chez les voisins la smala fut casée "pour une nuit".

Le samedi fut  un tourbillon d'arrivées. D'embrassades. De vives discussions. De rires. De collations. De souvenirs...Les enfants couchés plus tôt.

 

Au petit matin, Nanette se leva la première. Les parents étaient toujours couchés, puisque la porte de leur chambre était fermée. Elle enjamba quelques corps dormants sur des paillasses au sol. Traversa la chambre des grands parents. Entra dans la salle. Vide. Pointa son nez dans l'arrière-boutique.

 

- N'aies pas peur. Entre. Viens sur mes genoux. J'ai fini de déjeuner. Grand-mère va te servir.


Elle alla vers sa grand-mère. L'embrassa. Couru s'asseoir sur un genou du grand-père. C'était suffisant...


-   Tu prends pas du café au lait le matin ?

 

Etonnée, elle le voyait repousser une assiette creuse. Attirer un des bols posés au centre de la table.


- Café au lait ! C'est pour les femmes et les enfants. Moi, c'est un reste de soupe et quelques tartines de rillettes. Faut prendre des forces avant de retourner à la forge.

- T'y vas aussi le dimanche !

-  Souvent. C'est le client qui commande. Mais pas aujourd'hui. Aujourd'hui je vais bien me raser. Me faire beau. Me mettre du "sent bon". Enfiler mon costume du dimanche. Nous allons tous à la fête campagnarde de St Supplice. En forêt.

-  Une chapelle en pleine forêt  ? 

-  Oui. Une très vieille et jolie  chapelle. C'est la seule fois de l'année où je vais à la messe. Je veux mériter les morceaux de feuilletés aux pommes-de-terre ou aux anchois !

-  Laisse donc déjeuner cette petite Jules ! Et vas tirer des chopines pour les clients. Ils ne vont pas tarder à arriver...La messe au hameau est avancée aujourd'hui.


Nanette mangea proprement. Sagement. Rapidement.

Cette grand-mère-là était travailleuse, comme l'autre, mais pas soumise. Ni effacée. Emanait d'elle une autorité bienveillante...mais ferme !

-

 


 
 
posté le 30-07-2008 à 11:08:10

T'en voudrais en autre ?

La tante arriva. La taquina. Lui versa de l'eau dans la bassine pour qu'elle puisse faire sa toilette ; tandis qu'elles étaient seules. Lui prêta un peignoir, en attendant que sa mère lui donne les vêtements du jour.Puis, en peu de temps la pièce fut bondée.

 

-  Joseph, pourquoi n'avez-vous pas mis sa belle robe blanche à Nanette. Elle est si jolie avec ...C'est parfait pour la procession de St Supplice.

-  Je préfère la bleu. Ca fait ressortir ses yeux.

-  La blanche est plus de circonstance, ma fille.


Alors le père prit une position qui alimenta des années les griefs de son épouse. Il approuva sa mère. L'ombrageuse obtempéra. Bouda toute la journée. N'oublia jamais.

Après la messe, célébrée dans la clairière abritant l'oratoire, les familles se dispersèrent parmi leurs connaissances.

C'était la journée des retrouvailles annuelles pour tous.

Les stands offraient marchandises locales, nourritures...La buvette fut prise d'assaut par les hommes. Les femmes gourmandes se précipitant vers le boulanger-patissier de la ville qui régalait, chaque fois, chacun avec ses galettes feuilletées.

 

Nanette découvrit cette année-là le feuilletage. Délicieux ! Elle finit sans délai sa portion aux anchois, mais fut encore plus admirative avec la préparation aux pommes-de-terre. Ca pouvait donc être un régal des patates ! Elle dévorait des yeux tout l'étal de l'artisan.

 

-  T'as donc fini ton morceau ! T'en voudrais ben  un autre ?

-  Oh oui !


La tante rit. Depuis un moment elle observait sa nièce. Allait-elle réclamer, comme ses cousins, plus loin devant les stands de jeux où avec les maris pour se désaltérer..Devant sa résignation polie avait décidé d'intervenir.


-  Tiens. Régale-toi. Vous connaissez pas ça dans le midi !

-  Les anchois, si. Mon pépé fait des fougasses...Un délice ! Le feuilletage. Les feuilletés aux pommes-de-terre...c'est la première fois que j'en vois. Que j'en mange...Que c'est bon !


La tante, heureuse de sa joie, prit sa main libre.

-  Viens. Allons nous asseoir avec les autres...C'est qu'il fait soif  aussi !

 

 

 


 
 
posté le 30-07-2008 à 14:12:54

Alors ? Raconte !

Ce fut un dimanche de paisible bonheur familial. Partagé avec d'autres familles. Dans une nature enchanteresse. La smala rentra joyeusement en fin d'après-midi. Les collations et les discussions reprirent dans l'arrière-boutique. Et les promesses de s'écrire ! Et les promesses de se revoir plus souvent ! ...Puis, les citadins rejoignirent leurs pénates. Les provençaux préparèrent leur départ pour le lendemain.

 

Voyage retour. Même horreur d'un trajet long. Inconfortable. Bruyant. Salissant.

 

-  Alors ? Raconte !

-  Attends que j'arriv' mémé !


Nanette, essouflée, referma la porte de la chambre bleue. Enleva sa veste. Posa deux baisers sonores sur les joues creuses et ridées de son icône au grand chignon noué ; gris argenté, encore cendré de noir.

 

-  Tu sais, ma grand-mère d'en haut a les cheveux tout blanc. J'ai jamais vu une chevelure aussi blanche !

-  Elle est gentille ?

-  Heu ...gentille... C'est une patronne !

-  Comme ta mère alors ?

-  Non. Maman est autoritaire. Elle, comment dire...Elle doit se dire  "voilà tout ce qu'il faut  faire aujourd'hui..." Elle organise...Et il  faut que "ça saute" ! Elle travaille autant que la maman de maman... Mais, c'est pas le même travail...Et.....Il faut pas lui marcher sur les pieds !


L'aïeule sourit.

-  Alors, raconte-moi tout. Commence le premier jour...jusqu'à aujourd'hui. Ce sera plus facile  pour tout me dire . Rien oublier.

 


 
 
posté le 30-07-2008 à 18:32:46

Mémé, je te jure !

Nanette ouvrit des yeux énormes. Leva les bras au ciel. Se cala sur le bord du lit.


-  Je sais pas...si je me souviens de tout ! Puis ça serait trop long !...Je vais te dire ce que j'ai pas aimé. Ce qui m'a beaucoup plu.

Le voyage...Une horreur ! Trop long. Trop de changements. Trop de poussière. Mémé, je te jure : une horreur !


-  Ne jure pas  ! C'est pas joli.


- Ce qui m'a plu : beaucoup de variations dans les journées. Aller chercher grand-mère qui lavait à la rivière, pour l'aider à porter les panières.C'est pas  comme ici, où on lave dans le lavoir du rez-de-chaussée. Apporter le goûter à grand-père et papa les après-midi où ils allaient à la pêche. Aider à la boutique en ramenant les verres. Aller tirer des chopines au tonneau  pour  faire gagner du temps à grand-père. Lui aussi ..il fait son vin !


- Tu jouais ?


-  Oh non ! Les petits se chamaillaient  tout le temps. Leurs jeux ne m'intéressaient pas. Souvent, je me suis fait gronder car j'étais assise entrain de lire ..."Ben qu' c'est' y c'tt' façon de lire tout' la journée ! Tu veux bien laisser ça ! Te décoller d'ta chaise. Rejoindr' les autres !"...

Elles éclatèrent de rire.


-  Je ne sais pas bien prendre l'accent, mémé, mais ils ont un accent !

-  On a été gentil avec toi ?


-  Comment dire... Là-haut, tous les enfants font ce qu'ils veulent dans la journée... Bien sûr pas des bêtises... Mais ils prennent les repas  avant les grandes personnes...Et pas de soirées dehors, comme chez nous...Dans la journée tu dois jouer devant la maison sans aller sur la route.  Ou derrière. Car leur route est une nationale. Que de voitures ! Et des camions ! Même des gros américains. Si tu  fais un salut aux militaires, souvent, ils lancent des paquets de chewing-gum. Pas des boules de toutes les couleurs...des paquets enveloppés dans du papier.

Enfin, je préfère les soirées ici. Puis notre ciel est plus beau. Plus haut. Plus bleu.


- Et ton grand-père ?

- Mémé c'est un géant ! Mais pas un méchant. Un ogre qui fait peur. Crie...C'est un gros géant. Bon comme du pain d'épices ! Il te soulève sans effort. Peut te garder des heures sur un seul genou. Sans être fatigué...En réalité, j'y étais pas souvent...Les autres enfants l'accaparaient...Même la grande cousine. Pourtant elle a plus de dix-huit ans. Il ne sait pas dire  "non". Quand il a fini son travail,  s'il s'asseoit , il a toujours quelqu'un sur  son genou...

 


 
 
 

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