L'hiver n'en finissait pas...
Les dimanches sans sortie avec les Lions, la fillette se retrouvait seule avec le petit frère. Le père révisait ses cours chez un copain breton. Marié. Habitant un grand logement. Tous deux vétérans de la session devaient impérativement réussir ce concours.
- J' veux. J' veux !
- Donne-lui Nanette. Tu es la plus grande.
En soupirant, la soeur remit au gamin son livre. En prit un autre dans son cartable.
- J' veux. Aussi !
- Nanette, sois raisonnable. Donne lui. Que les mégères ne montent pas secouer la porte.
Yeux furibonds elle céda. Prit une feuille. Des crayons de couleur.
- J' veux. Veux. Encore !
Excédée l'aînée lui jeta tout sur la table.
Ravi de ses conquêtes le garçonnet prit livres, feuille et crayons. Les empila devant lui. Posa ses bras croisés dessus. Posa sa tête sur le tout. Sourire vainqueur aux lèvres.
Nanette râla intérieurement.
Depuis quelques mois c'était toujours ainsi. Il voulait systématiquement ce qu'elle tenait. Sa mère l'obligeait toujours à céder, au nom de la paix avec le voisinage.
Mais quand donc ne serait-elle plus " La plus grande". La plus "raisonnable", qui devait satisfaire les caprices du petit...
Finalement, c'était pas si mal quand, bébé, il passait ses journées à dormir...
"Mars qui rit à travers les averses
Prépare en secret le printemps"
Peut-être le poète de la récitation de la maître avait-il raison...mais en ce-moment Mars signifiati électricité accumulée à la maison.
Le père y était toute le joiurnée, seul ou avec son copain, pour revoir tous les cours, les problèmes, avant le jour crucial.
Le soir la mère tournait, virait près de la table, cherchant à bavarder un peu ; tandis que le père guettait le silence de la TSF des voisins et des rumeurs de la ville pour se concentrer sur ses fiches, croquis machines.
- Mais vas-tu donc t'arrêter de me tourner autour !
Un accès de colère imprévisible secoua le bachoteur. Il se leva, excédé, en jetant fiches et stylo-encre devant lui.
Catastrophe !
Son beau stylo ! Cellui offert pour fêter son passage en deuxième année. Celui qui ne le quittait jamais. Avait une plume en or. Connaissait toutes ses sueurs. Ses doutes. Ses certitudes. Ses crampes...
Aussitôt il se rassit. Contrit. Désemparé. Quelle explosion intempestive ! Il avait l'air fin maintenant..
La mère ramassa le stylo. Essuya l'encre. Un silence de mort s'intalla.
La femme alla se coucher sans un mot.
L'homme resta à réviser, crayon Waterman en main.
La fille n'arrivait pas à s'endormir.
Comment allait-il passer ses épreuves ? Ah si elle avait des sous ! Elle lui en achèterait un. Aussi beau. Chez le grand papetier du boulevard de la Corderie. Que c'était pénible d'être si pauvre. Tout le temps. Tous les jours. Pourquoi les gens qui le méritent n'ont-ils pas ce dont ils ont besoin pour progresser...
Son papa, bosseur, méritait un bon-beau-stylo...pour...ré...u...ssir...son...con...cours.....
La vacancière arriva essoufflée de sa première visite au cabanon.
- Alors ? Tu as trouvé des violettes ?
- Tiens, mémé. Elles sont très parfumées !
Après deux bisous sonores elle s'assit au coin du lit.
- Je vais demander au pendule si tu as été sage ce trimestre...
- Non mémé ! Je suis grande maintenant !...Tu crois qu'il saurait pour papa ?
L'aïeule sourit mystérieusement.
- Pour ton papa, il faut prier.
- Mais, je le fais tous les soirs. Après mon examen de conscience. Je t'ai raconté qu'on est même allées demander de l'aide à la Vierge Noire.
- Il faut prier tous les soirs. Bien travailler. Etre sage...Alors...c'est possible. Il est brave ton papa ! Je prierai aussi pour lui.
- Tu diras des chapelets ?
- Je ferai ce que je pourrai..Mais, c'est le Ciel qui décide.
- Bon. Je vais chercher ton plateau. Pépé a trouvé des asperges sauvages. Il en fera une brouillade pour ce-soir. A t'à l'heure !
A la fin des vacances pascales, elle regagna la ville rassurée. Si elles étaient deux, vraies, croyantes à prier...Son père, qui étudiati sérieusement, sans arrêt...devrait avoir toutes les chances de réussite.
- Tu as repassé mon costume, ma chemise blanche, ma cravate ?
- Oui. Tiens. Finis de déjeuner d'abord. Sinon tu auras un creux à 10 heures.
Nanette fit semblant de dormir. Se tourna vers le mur.
La veille sa mère lui avait fait la leçon.
"Demain, jeudi, tu ne te lèvera pas avant le départ de ton père. Qu'il n'ait aucun motif d'énervement ou de déconcentration".
Ils s'embrassèrent. Elle referma la porte. Il descendit lourdement. La fillette fut envahie par un trac douloureux. Pria.
Qu'il réussisse !
Qu'elle soit contente !
Que l'atmosphère soit plus détendue....
Et, il le méritait tant !
Les jours qui suivirent furent torture.
Des silences interminables étaient zébrés d'éclairs de colère intempestifs.
Les enfants se faisaient tout petits dans leur coin. Même le petit frère obéïssait aussitôt.
Commentaires
1. jmdamien3 le 03-08-2008 à 07:56:27 (site)
Bonjour, vous avez là un bien joli blog. Bon dimanche