Nanette n'en croyait pas ses yeux !
Figée sur le seuil de la porte d'entrée, elle regardait le seul coin de la pièce non attribué à une porte (menant aux chambres, à la réserve, du placard).
Un sapin ! Il y avait un sapin ! Presque aussi grand que celui décorant le magasin de la boulangère !
Yeux écarquillés, bouche bée, elle avançait enfin. Se planta devant le géant au pied enfermé dans une cagette bâchée d'un sac de jute. Son bonheur s'emplifia lorsque le père l'enrubana de trois guirlandes. Accrocha le contenu d'un sac de boules multicolores. Pinça des bougies. Enfin, une grande étoile sublima la pyramide !
C'était la première fois que Noël donnait lieu à tant de décorations. Les précédents n'avaient connu que la traditionnelle petite crèche. Installée sur une petite étagère à coté de la T.S.F. Encaddrée de deux soucoupes de tasses à café garnies de coton imbibé d'eau où germaient blé et lentilles. Pousses vertes symbolisant les récoltes futures. Destinées à décorer le plateau des 13 desserts du réveillon.
Nanette aimait bien cette période.
Ouvrir la vieille boite à chaussures descendue du grenier. Extraire des vieilles coupures du Provençal les vieux santons en argiles maintes fois repeints. Cacher le petit Jésus dans le tiroir de la vieille machine à coudre à pédale de l'aïeule. Et, c'est elle qui le mettrait sur le coussin de paille au lever du 25 décembre !
Ses enfantines méditations furent iinterrompues par l'arrivée triomphante du pépé. Solide sexagénaire qu'un asthme (trophée d'un gazage en 14/18) handicapant et douloureux n'empêchait pas d'aller à la chasse.
La gamine fixait ses énormes mains. Plongeant dans les immenses poches de son costume "bleu de travail". Les grosses paluches fermées tournoyèrent à l'intérieur. Ressortirent avec quatre petits oiseaux.
(A suivre)
- Et j'en ai d'autres ! Nous aurons d'excellentes rôties pour le réveillon de Noël.
- Assassin ! T'es assassin ! Tueur de p'tits z'oiseaux !
Le rire tonitruant du grand père ébranla les fines vitres de la pièce. Sa petite-fille le grondait toujours quand il attrapait des moineaux, des grives...Mais elle se régalait avec les rôties. En redemandait. Idem pour le civet de lièvre ! Fallait-il refuser quand St Hubert avait permis d'agrémenter l'ordinaire du dimanche par ces gibiers préparés savamment par l'aïeule. Festin auquel était convié le copain de chasse de la même "classe", qui l'accompagnait au cas où il aurait un problème respiratoire.
- T'as vu l'arbre ?
- Oh oui. Il est beau ! Répondit-il en s'assaillant ; après avoir rangé sa chasse dans le garde-manger de la réserve. Viens sur mes genoux. Alors ?
qu'as-tu demandé au père Noël ?
- Sais pas. Sais jamais ce qu'il apportera. S'il aura le temps de venir ici. L'année dernière il a rien apporté. P't- être parc' qu'il y a un tuyau de poêle dans la cheminée ?
Le grand-père sourit tristement.
C'était leur lot à eux. Tous les petits paysans. Petits salariés d'après-guerre.
Les deux jours avant Noël parurent interminables. Nanette passait des heures à rêver devant son premier sapin. Dormait le petit frère.
L'aïeule tentait de la faire patienter. Lui répétait quelques rudiments de Provençal en cachette. Lui rappelait quelques chants de circonstance.
"Mon beau sapin, roi des forêts, que j'aime ta verdure...
"Dans une boite en carton, sommeillent les petits santons. Le berger, le rémouleur...
" De bon matin j'ai rencontré le train de trois grands rois qui étaient en voyage...
Les chansons étaient claironnées en Provençal...puis subitement en français quand quelqu'un arrivait. Il était interdit aux anciens de parler la langue originale.
- Voilà tes souliers cirés Nanette. Pose les au pied du sapin. Vas vite au lit.
(A suivre)
La petite enfila sa chemise de nuit ; rangée une heure plus tôt sur la barre métallique de la cuisinière. Remercia la longue madone noire qui lui tendait sa bouillotte. Escalada aussi vite que possible les marches du couloir glacial. Se jeta sous l'édredon de plumes. Elle grelotta quelques minutes dans la chambrette non chauffée ; comme toutes les autres. Lovée sur la bouteille de limonade restituant la chaleur puisée dans la réserve du vulcain familial.
Nanette était réveillée depuis longtemps. Aucun bruit. Les grands ne se lèveraient donc pas ce-matin ! Elle sortit doucement du lit. Mit ses pantoufles. Ouvrit lentement la porte. Traversa la chambre parentale sur la pointe des pieds. Descendit prudemment l'escalier. pénétra dans le séjour. Tâtonna. Alluma.
- Que de chsozes !
Un grand cheval en bois, à roulettes, narguait une grande poupée adossée au sapin ! Les souliers étaient garnis ! Elle admirait. Paralysée par l'émotion.
- Une poupée "amatail" !
Elle n'osait pas la prendre. Le père, descendu sans bruit à sa suite, la mit dans ses bras après avoir posé sur la table les friandises. Ils la saisirent ensuite, chacun d'une main, pour faire fonctionner les jambes articulées. La poupée en carton-pâte avança au pas de l'enfant ébahie.
Le Père Noël était passé ! Elle fera une prière pour lui ce-soir avec mémé. Pour le remercier. Lorsqu'elle fut enfin consciente que ce jouet était bien à elle, le père la laissa discuter avec sa fille. Moulu le café. Ranima le feu. Posa la cafetière après avoir retiré le petit rond central en acier.
Nanette déshabilla Poupette. Vérifia tous les vêtements. La revêtit. Lui raconta l'histoire du petit Jésus en déposant délicatement le santon dans la crèche. Présenta Poupette à toute la famille au fur et à mesure des arrivées. Ne la quitta pas de la journée. L'installa près de la cuisinière le soir afin qu'elle n'ait pas froid... rêva d'elle la nuit...
Hélas son instinct maternel fut rapidement éprouvé ! Dès le lendemain, voulant laver sa fille après sa toilette personnelle...Elle assista, impuissante, à l'évanouissement mortel des pieds...dans la bassine d'eau chaude savonneuse...
Ce fut son premier et dernier sapin. Le seul Noël décoré de son enfance.
Cet hiver-là, l'associé de l'atelier de réparations mécaniques partit avec la caisse.
Le père, qui avait quitté la Royale, (où il s'était engagé afin d'éviter le STO en Allemagne), sur la demande de sa jeune épouse, (alors qu'il aurait souhaité y faire carrière), fut contraint d'accepter un emploi de chauffeur-graisseur sur un cargo.
La mère et les deux petits le suivirent au port d'attache.
Déchirement ! Mémé ne pouvait pas venir !
L'appartement ne comptait que deux minuscules piécettes.
Dès le début Nanette n'aima pas la ville.
Trop de bruits. Trop de monde. Trop de clochards dormant dans les rues sales...Et cette odeur acre. Tenace. Suffoquant les habitants de la rue où dominaient encore les vestiges de l'ancienne savonnerie.
S'il y avait mémé !
Elle l'emmènerait au jardin du Pharo, voir la cariole trainée par le joli âne harnaché. Elles pourraient distribuer des miettes de pain aux pigeons. Surtout elles admireraient l'immensité bleue. Changeante. Mouvante. La mer. Scintillante. Chantante. La Méditerranée...Cruelle qui retenait son papa !
Mais...pas cette présence réconfortante. Pas ces ballades espérées. L'exigüité d'un logis de 20 m2. Une piécette où vivre sans pouvoir circuler. Une autre où dormait mère-fils et père quand il était présent. Elle, elle dormait sur une paillasse casée dans un recoin du sas les séparant où était la porte d'entrée..
Heureusement, il a avait la maternelle.
Elle découvrait cahiers, crayons, plumes, encre, tampons-frises, images en couleurs...
Malheureusement, il y avait Benoit et sa bande.
Ils n'arrêtaient pas de se moquer d'elle. Ses gros vieux souliers. Sa vilaine mallette en carton pour la serviette et les couverts nécessaires à la cantine. Pire, les incessants sobriquets chantés aux récréations : "tomate pourrie", "tomate farcie".... Les méchants petits canards se moquaient de son nom, de ses vêtements modestes, de la couleur de ses cheveux "poil de carottes"...
L'année de transition fut péniblement longue. Eclairée par les vacances scolaires au village natal. Ces retours ! La fougue de la marche le long des rues tortueuses, sombres qui menaient à leur maison "Au Bien Etre".
Ce bien-être Nanette le ressentait surtout les matins d'été, quand, réveillée la première, elle descendait en chemise de nuit. Ouvrait les battants de la porte-vitrée. S'assaillait "à la fraîche" pour voir l'aurore éclaircir l'horizon vallonné. Diffuser ses harmonies de rouges-roses-violets., se métamorphosant en disque d'or incandescent sur les strates de bleus divins.
Pour apprécier ces minutes, communier avec l'air matinal...il fallait s'appliquer à descendre les marches de l'escalier sur les tomettes provençales rouge. Eviter impérativement les contremarches en bois... sinon, un grincement intempestif alertait l'oreille fine de mémé. Elle réclamait aussitôt sa présence. La privant de son petit bonheur secret.
Car ensuite la journée ne lui appartenait plus.
Sa mère régentait son l'emploi du temps. Aller chercher pain-lait-journal au centre du village. Se dépêcher de ramener une salade et les oeufs du cabanon, à deux kilomètres de la maison. Faire une sieste obligatoire jusqu'à 16h sitôt le repas terminé. Tenir compagnie à l'aïeule, installée pour la journée dans une large chaise fauteuil ...depuis sa chute et sa fracture du col du fémur.
Voir sa longue idole noire cloitrée. Alitée. Clouée du fauteui au lit et du liit au fauteuil désolait l'enfant ; très attentionnée, toute la journée, pour les repas, les bavardages, la prière du soir...espérant se faire pardonner sa petite feinte du matin...
(A suivre)
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