- Alors ! Bien dormi ?!
Nanette referma aussitôt la porte de la chambre. Elle donnait sur le bistrot-alimentation-téléphone-arrêt de car...du hameau. Rougit aux éclats de rires virils de l'autre coté.
- Ben Aimée ta p'tit' fill' a montré l' bout d' son museau !...Ressers -nous donc un' "chopine de gris" ...
Nanette traversa la chambre de la patronne. Regagna celle des enfants. Tous étaient levés. Tapa à la porte de celle des parents. Personne. Chercha ses vêtements. S'habilla. Entrebaîlla la porte. Il y avait des clients. Elle respira profondément. Se redressa. Ouvrit d'une main ferme. Ferma.
- Bonjour Messieurs-Dames.
Politesse accomplie, elle s'engouffra dans la cuisine. Sous le sourire bienveillant de la commerçante servant un kilo de pêches à la voisine.
La grande table ronde qui trônait au milieu de l'arrière-boutique était désertée mais un bol, un pot de confiture, un beurrier et une panière attendaient sa venue. Tandis que la tante faisait la vaisselle du petit-déjeuner.
- Tu as du café et du lait chaud sur la cuisinière. Tu te sers ou je te sers ?
Elle ne savait pas ce qui'l fallait répondre pour bien faire.
- Comme vous voulez madame.
- Ben dis donc ! Tu vas me dire "tu", et m'appeler Francine ! Ce matin, je te sers ; c'est pas la grande forme...Demain tu feras comme chez toi. Tu prendras ce que tu veux. Autant que tu veux. A ton âge il faut manger pour grandir.
Elle avait honte d'être la dernière levée. Bâcla le petit-déjeuner. Débarrassa. Ne sut comment laver ses couverts. Il n'y avait pas de robinet au-dessus de l'évier. Sortit rejoindre les autres petits qui se chamaillaient dans l'arrière-cour fermée où déambulait toute une basse-cour bruyante.
Que de bêtes différentes ! Nanette ne connaissait que coqs, poules, lapins...Ici des canards, des pintades, un dindon, des poussins, des poulets, une oie...Comme dans le livre de lecture qu'elle avait en C.P.
Les garçons jouaient à faire peur à toute cette volaille. Pour rire de leur fuite affolée. Sa cousine suçait son pouce, en menaçant périodiquement de les dénoncer...
Laissant les petits à leurs jeux, elle s'aventura vers un hangar barrant le champ-est. Une odeur spéciale lui saisit les narines. Elle s'approcha d'une porte au fond de l'abri. On entendait du bruit, des paroles..Reconnaissant la voix de son père, elle ouvrit.
Le géant tirait une chaîne devant un âtre flamboyant ; sa main gauche tenant une pince terminée par un bout de métal incandescent.
- Entre ma fille. Regarde ton grand-père. Il prépare des fers à cheval pour demain. Allez ! Approche ! Dis bonjour et regarde. C'est pas souvent que tu verras ça dans ta vie.
La voix du père était tendrement admirative. Elle ouvrit complètement la porte. Entra dans la forge. Referma. Approcha lentement.
- Dis Joseph, attise à ma place...que j'embrasse cette dormeuse. Ma jolie si tu veux me voir ferrer demain...faudra te lever aux aurores. J'officie très tôt. Après, il fait trop chaud, ça dérangerait les clients. Surtout les passants de l'été.
Avant qu'elle ait eu le temps de réagir, il la souleva de terre. La fit sauter une fois en lair. La serra contre lui, après deux baisers sonores et barbus...
- Qu'est-ce que tu piques !
Un rire sonore coqueriqua du géant qui en remit une brassée, sous le regard attendri du père.
- Mets tout en veilleuse mon fils. Entrons voir si on peut aider la patronne. Ma mignonne baisse la tête, si tu ne veux pas avoir une bosse sur ton front pour la fête.
Le trio entra gaiement dans la boutique. Aimée préparait sa liste pour le camion du grossiste. Il devait s'arrêter dans l'après-midi. La tante et la mère pelaient des pommes-de-terre et des carottes pour la purée des enfants. Deux fermiers voisins vidaient leur "chopine de rouge", avant de rejoindre leur charette remplie de foin.
Nanette se sentait en confiance sur les épaules de ce gaillard bedonnant, mais fort, qui savait la descendre doucement pour la poser sur l'un de ses genoux ; le temps de l'apéro entre hommes...
Le première semaine s'écoula rapidement.
Les enfants se levaient ensemble vers huit heures. Petit-déjeuner. Jeux. Déjeuner avant les grandes personnes. Sieste jusqu'à 15 heures. Une heure de devoirs de vacances, sur la table de l'arrière-boutique. Puis...l'aventure.
Un jour, accompagner le vacher voisin qui entrait les bêtes amenées le matin qu pâturage. En évitant de marcher dans la bouse...
Le lendemain, aller chercher beurre et crème fraîche dans une ferme éloignée.
D'autres fois, apporter le goûter aux hommes qui étaient allés à la pêche aux gardons-tanches-brochets ou carpes...à la grâce de Dieu ; ou partir avec la grande cousine de 18 ans en forêt, pour ramasser des "trompettes de la mort", champignons devant accompagner le rôti du diner..
Nanette trouvait très bien que son papa passe la quasi-totalité de son temps à aider Aimée. Lui repeindre et tapisser les trois chambres.... Elle avait tant de travail !
Surtout quelle complication complication de n'avoir que l'eau du puits !
Dur de remonter le seau plein. Le décrocher. Traverser tout le potager. Ouvrir la porte le séparant de la basse-cour. Refermer. Faire de même avec celle de la cuisine...
Aussi pas question de gaspiller l'eau !
Elle remarquait que sa mère était souvent absente. Soit partie avec la tante rendre visite à des voisins. Soit en ballade avec la tante.
Une fois les découvertes faites, elle se sentit seule.
Trop grande pour jouer avec les petits chamailleurs.
Trop petite pour intéresser la grande cousine qui avait ses amis.
Souvent elle regardait travailler les grands. Essayait de seconder la patronne dans la boutique ou aux tablettes des consommateurs.
Quand tout le monde était occupé, elle se cachait au fond du jardin avec le livre ou la revue qu'elle avait pu trouver. Tout était bon !
Sa grand-mère n'appréciatit pas tellement la voir aussi calme lectrice. A son âge fallait jouer. Courir.
Est-ce que les adultes savaient toujours ce qu'ils voulaient ?
Aux petits, elle disait de se calmer. A elle de bouger...
Ce matin-là effervescence devant la maison. La moissonneuse-batteuse ramassait le blé tardif. Les ouvriers déjeunèrent dehors sous les parasols. Les saisonniers firent des meules avec les gerbes. Les enfants du hameau jouèrent tous à cache-cache, dès les machines parties.
- Demain les forains viendront pour préparer la fête de dimanche. Je ne veux plus voir quelqu'un jouer devant la maison. En bordure de la nationale. Elle sera trop fréquentée. Tous dans l'arrière-cour ! Vous aiderez les femmes pour la préparation des volailles.
La patronne avait annoncé le programme.
Les enfants embrassèrent les grands qui allaient se mettre à table ; alors qu'eux avaient droit au lit avec dix minutes de lumière avant le couvre-feu.
Quelle corvée !
Pour la fête annuelle du hameau, (tous les hameaux avaient un dimanche de jeux et bal populaire), Aimée faisait la restauration. Des tréteaux étaient montés. Des planches posées. Des nappes mises. Une petite centaine de paysans et estivants des alentours passaient la journée à jouer. Boire. Danser. Manger. Jusqu'à l'aube...
Mais avant la fête : quelle corvée !
Des dizaines de volailles, tuées au petit jour par les hommes, amoncelées sur une installation occasionnelle sous le hangar. Femmes et enfants plumant, les petits ramassant les plumes dans des sacs de jute..ou se faisant gronder, quand ils s'en servaient de projectiles.
Puis, le moment malodorant du brûlage des derniers poils ou duvets.
Au moment des éviscérations Nanette partit.
Deux jours pour préparer les volatiles. Un jour pour les précuire. Quelques minutes pour tout dévorer...
Commentaires