Heureusement, il y avait les vacances au pays !
- Nanette, je n'irai pas chez nous pour Pâques.
- Mais moi ?
- Toi, je te confierai au car. Tonton ira te chercher à l'arrivée. Je reste avec Pierre. Ton papa doit faire escale...
- Je veux le voir !
- Ce n'est pas possible ! Il faut que tu "prennes l'air". C'est trop petit ici. Tu le verras la prochaine fois.
Elle trouna la tête afin que sa mère ne voit pas les larmes qui menaçaient de couler... Papa ou mémé. Mais quand seraient-ils ensemble, comme avant...
Le jour du départ le tramway les conduisit à quelques arrêts du bureau des cars. Sa mère économisait les tickets. Elles terminèrent à pied les derniers tronçons de la ligne. Arrivèrent essoufflées au bar qui abritait le point de vente des billets. On la présenta au chauffeur qui assura la clienté de toute son attention envers cette passagère, qu'il devrait remettre, au terminus, à l'oncle. Pour plus de sécurité, il la placerait au siège situé à droite du pare-brise. Au niveau de son propre siège. Ce fut pendant des années sa place réservée.
L'odeur du car ! Du carburant. Les virages...Autant de gênes qui rendaient la fillette malade. Les jours de départ, elle ne mangeait pas. Ne buvait pas. Prenait un cachet de Notamine vers 16 heures. Cachait dans une poche un petit sachet. Hantée par la peur de se faire remarquer, en arrêtant le car...
Heureusement, après un voyage de 4 heures...le bol d'air ! Ah ! marcher sur la terre ferme ! Sans odeur ! Une petite main emprisonnée dans la paluche chaude de l'aîné. L'autre portant fièrement sa mallette en carton ; pleine de dessins pour mémé et grand-mère. Au bout du trajet : la maison.
Sitôt rentrés au bercail les volets étaient fermés.
- T'as le chevreau ?
- Oui. Je suis allé le chercher hier à la ferme.
- Je vais le voir.
- Non. Tu le verras demain. Il est temps de manger et d'aller te coucher.
- Tu lui feras pas mal ?
- Tu voudrais qu'il reste vivant. Jouer avec lui dans le pré. Mais en manger rôti pour Pâques !
- Ou..i...
Le rire sonore du grand-père résonna en cascade d'échos dans la maison. Réveilla mémé, qui réclama aussitôt la petiote.
Les vacances pascales pouvaient commencer.
(A suivre)
Le lendemain matin...O surprise !...le sol était recouvert d'un fin voile blanc. Il avait neigé pendant la nuit. Le petit chevreau séparé de sa mère, seul dans le parcage de la remise, devait avoir froid. Elle descendit rapidement se vêtir avec ses affaires confiées au barreau de la cuisinière. Ouvrit les volets. Oh non ! Le grand-père sortait de la porte béante de la remise avec un précieux bol de "sangué", qu'il allait faire poêler pour son petit déjeuner.
- Tu l'as tué !
- N'y vas pas. Je le préparerai tantôt. Viens déjeuner avec moi.
Répondit-il en fermant la porte à clé et la glissant aussitôt dans sa poche.
Horrifiée. Déçue. Elle remonta le perron. Referma les volets. Regagna son lit, glissant toute habillée sous l'édredont encore chaud de la nuit. Elle n'aimait pas ce plat annuel que le vieux appréciait. Même en l'arrosant généreusement avec le vinaigre de vin maison.
Son grand-père comprenait sa réprobation. Il avait sacrifié tôt la bête uniquement pour qu'elle ne voit pas le touchant animal. N'ait pas de peine en le laissant partir à la mort. Mauvais moment à passer. Le jour de Pâques elle remercierait grand-mère pour le succulent rôti trônant sur la table au milieu de sa couronne de pommes-de-terre rissolées dans le jus.
A midi le soleil avait asséché la terre. Dès mémé endormie profondément pour une sieste habituelle, la gamine, qui apréciait de pouvoir régenter son emploi du temps, décida d'aller au cabanon. Peut-être trouverait-elle quelques fleurs précoces ?
Elle se couvrit. CLancha. Descendit les quelques marches bétonnées du perron. Le chien de chasse, enfermé dans l'enclave somblre sous le balcon, aboya. Elle lui dit quelques mots à travers la porte. Fila d'un pas soutenu sur la départementale qui éloignait du village. En direction du sud. Vers les champs en étagères entourant le cabanon et le pigeonnier en pierre. Deux kilomètres plus loin, le portail en bois. Elle ouvrit.Referma derrière elle. Monta le sentier. Chercha patiemment quelques petits trésors offerts par Déméter... Enfin ! Cachées timidement entre les premières pousses vertes, des grappes de violettes l'attendaient.
Le coeur débordant de bonheur devant ces beautés odorantes Nanette les cueillit délicatement afin de ne pas arracher leurs racines. Permettant de futures floraisons.
(A suivre)
Ces vacances furent doucement mélancoliques.
Elle était livrée à elle-même. Remplissait affectueusement ses devoirs d'arrière-petite-fille. ALlait chez ses grands-parents pour les repas. Passait le reste de la journée au cabanon à renifler la nature. Guetter les manifestations de son réveil. Ramasser les trésors du jour... Premières pousses de pissenlits que grand-mère préparerait en salade aillée. Panier d'escargots que grand-père ferait dégorger ; gratiner avec du beurre persillé..Surtout, si possible, un petit bouquet à remettre, lors du compte-rendu quotidien, à l'aïeule. Quel bonheur de trouver quelques tulipes ou narcisses sauvages !
A la moindre tache de coiuleur émanant du sol réchauffé...le coeur de Nanette battait plus fort. Elle avançait prudemment vers la cible. Ne pas écraser d'éventuelles pousses ! Se baissait respectueusement vers les prêtresses du printemps. Ramassait une poignée de tiges hautes. Les autres feraient son bonheur un autre jour.
Pour éviter les trajets à grand-mère, elle changeait l'eau des lapins blottis dans les clapiers. Ramassait les oeufs des poules...
Parfois grand-mère l'accompagnait. Fallait préparer les sols du potager.
Nanette était triste en voyant trimer cette femme effacée, soumise, travailleuse.
Etait-il normal qu'elle bêche à deux "lichées" ? Qu'elle plante, sème, récolte sans aide au potager, au verger, dans les champs... Qu'elle fauche, vanne, rentre le foin en ballots sur l'énorme brouette, dans le grenier du cabanon.
Le grand-père ne s'occupait que de ses oliviers, de ses vignes et des ventes au marché hebdomadaire.
Parfois Nanette tenait compagnie à sa grand-mère. Assisses dans le pré jouxtant la maison, l'adulte reprisait les affaires familiales et l'enfant tricotait en lui racontant la grande ville.
La gamine respectait profondément cette grand-mère discrète, semblant porter une croix. Souvent elles se taisaient toutes les deux. Mais coeurs unis.
- Tu sais mémé, grand-père a trouvé des morilles ! Regarde comme elles sont belles !
Nanette entrait essoufflée dans la chambre bleue où, tout en égrenant un chapelet noir, l'attendait l'aïeule.
- Fais voir. Hum ! Elles sentent bien bon...
- Il fera une brouillade ce-soir.
- Alors tu prends le car demain matin ?
- Eh oui...
L'enfant s'assit sur le bord du lit ; assiette creuse odorante posée sur le carrelage.
- Tu vas devenir une demoiselle de la ville. Tu oublieras tout d'ici. Tu ne comprendras plus ce que je te dis en Provençal...
- Mais non ! Mémé, écoute...¨
Provençau veici la coupe
Que nou vendi catalan
Adering beguen, en troupo
Lou vin pur de noste plan .
L'ancienne reprit en choeur..
Coupo santo eversanto
Vuejo a plen bord
Vuejo a bord lis estram bord
Et l'en evans di fort !
Elles se sourirent continuant...
D'un vièl pople fier e libre
Siam bessai la finicioun
E, se tombon il félibre
Tombara nosto nacioun
Au refrain elles s'égosillaient... poursuivant...
...D'une raço qui regreio
Siam bessai il proumié greu
Siam bessai de la Patrio
Le cepoun emai il préu...
Elles s'embrassèrent longuement pour calmer l'émotion due à la séparation proche...
- Vas vite rapporter l'assiette à grand-père. Qu'il prépare les morilles. Tu dois te coucher tôt ce-soir. Demain lever à 5 heures. Il ne faut pas rater le car !
- A tout à l'heure.
Deux petits bisous puis s'en alla.
(A suivre)
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Reprendre le collier.
Le joug de la vie citadine : école-immobilisation-dodo.
L'écolière aimait aller à l'école.
Tous les matins elle courait afin d'arriver à l'heure pour écouter la petite historiette lue par la maîtresse. Commencer par un conte moral permettait aux retardataires de ne pas manquer le début des leçons... Pour elle c'était quelques minutes de bonheur quotidien... Souvent le seul. L'effort et l'honnêteté étaient toujours récompensés et gagnants...
Ce-jour-là elle perdit beaucoup de temps avant de pouvoir traverser, au carrefour dangereux, à quelques mètres de la porte du domicile. Puis, la matrone du rez-de- chaussée bouchait l'entrée.
- Pardon madame, je voudrais passer.
L'énorme femme, qui ne pouvait passer les portes que de profil, aggravait sa laideur par une méchanceté de sorcière. Elle n'était pas comme madame Saturnin, une dame gentille qui amenait et venait chercher sa fille à l'école. Chez elle on ne voyait que sa bonté qui rayonnait...
- S'il vous plait madame, je suis pressée. J'ai peu de temps avant de rentrer à l'école.
Un rire vulgaire, mauvais, hoquetait de ce corps tordu par un mauvais génie.
- Et si je veux pas moi, Eh ! la petite ! c'est pas parc'qu'tu sais lire que t'es la plus forte.
- Pardon, madame, s'il vous plait !
Le bouchon de chair refusait le passage.
La mère cria du haut du petit escalier qu'elle se plaindrait au propriétaire.
Enfin elle pu passer. Sauta le déjeuner pour relire les poésies de la composition mensuelle de récitation. Quel poème lui réserverait le sort ? Le tirage dans la boite en carton de l'enseignante lui serait-t-il favorable ?..
(A suivre).
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