Cinéma !
La fin de la semaine parue longue à l'écolière. Lorsqu'on a comme distraction que l'emprunt bimensuel à la bibliothèque de la classe, les heures au patronage...le cinéma...quelle aubaine ! Alors qu'écriture, lecture, leçons, devoirs...on en a tous les jours.
Enfin samedi !
Repas bâclé. Vaisselle essuyée-rangée. Porte du patronage...encore fermée !
Enfin l'heure d'entrer !
Les fillettes s'agglutinèrent devant la porte de la salle. Le père les salua. Entra. Sortit un grand drap blanc d'un placard. L'étendit sur le mur avec l 'aide de la soeur. Installa le projecteur. Ordonna la mise en rang par deux. Autorisa le bataillon à entrer dans le sanctuaire. S'asseoir. Réclama le silence.
Enfin le drap s'anima !
Des ombres blanches et noires se rencontraient. Se parlaient. S'entraidaient. Se trahissaient...
Le gentil missionnaire, vêtu de blanc, assistait impuissant à l'incendie de sa chapelle. Mur de bois, toit de paille s'évanouissaient en fumée...Le courageux chevalier du Christ avait à peine le temps d'arracher le ciboire du tabernacle...S'enfuir. Torche vivante...S'écrouler dans la forêt vierge...Coque calcinée protégeant, gainant, la noix d'or contenant les Hosties...
Un silence impressionnant régna pendant la séance. Les fillettes sortirent sans un mot. La cour de récréation fut quelques instants en "arrêt sur image"...
Puis la file d'attente habituelle se forma sous le préau abritant les balançoires. Les premières disputes éclatèrent entre les tricheuses voulant passer avant leur tour. La vie enfantine reprit ses droits..
Avec le printemps revenaient les petits bonheurs...
D'abord on partait pour l'école avec le soleil. Les arbres bourgeonnaient dans la cour. Tout le monde était plus souriant.
Ensuite, la clémence du temps lui permettait d'accompagner sa mère quand le père revenait. Elles guettaient sur la rade le bateau. Assistaient au franchissement de la passe. Se positionnaient sur le quai. Surveillaient les longues manoeuvres pour accoster. Attendaient la passerelle. Puis, l'autorisation de monter. Prudentes sur les marches partiellement flottantes, elles arrivaient enfin sur le premier pont. Circulaient dans les coursives. Lisaient les noms sur les portes des cabines. S'engouffraient dans celle du père, laissée déverrouillée à leur intention. Car fallait généralement qu'il finisse un quart. Prenne une douche. Alors, tandis que la mère fouillait les lieux, elle s'assaillait sur la couchette haute. Rêvait devant le hublot.
Dans ces moments-là, la provençale se sentait bretonne. La mer la "travaillait aux tripes". Les poèmes de Victor Hugo, appris en classe, revenaient à son esprit...
Elle murmura...
Il est nuit. La cabane est pauvre mais bien close.
Le logis est plein d'ombre et l'on sent quelque chose
Qui rayonne à travers le crépuscule obscur.
Des filets de pêcheur sont accrochés au mur...
Tout près un matelas s'étend sur de vieux bancs
Et cinq petits enfants, nid d'âme, y sommeillent
...Et dehors blanc d'écume
Au ciel, aux vents, au roc, à la nuit, à la brume
Le sinistre océan jette son noir sanglot.
L'homme est en mer.Depuis l'enfance matelot
Il livre au hasard sombre une rude bataille.
Pluie ou bourrasque, il faut qu'il sorte, il faut qu'il aille,
Car les petits enfants ont faim...
....O pauvres femmes de pêcheurs !
C'est affreux de se dire ; mes âmes
Père, amant, frère, fils, tout ce que j'ai de cher
C'est là dans ce chaos !...
- Alors, comment vont mes femmes ?!
(A suivre)
- Papa !
Elle bondit de la couchette. Lui sauta au cou.
- Pouah ! T'es tout mouillé !
- C'est que je me suis dépêché. Ou est maman ?
La mère sortit de derrière le paravent cachant le placard toilette.
- Je me recoiffais. Bon voyage ? Vous restez plusieurs jours ?
- Nous avons eu une avarie. La pièce est restée en réparation à Gênes. Mon coéquipier malade aussi. Je dois prendre son quart ce-soir. Vous pouvez repartir tout à l'heure ou rester. J'ai la permission du Chef et le cambusier a prévu plusieurs repas. Dans ce cas nous rentrerions ensemble demain. J'aurai 48 heures.
- Oh oui ! Maman on reste !
- Et le petit ?
- Madame Charles comprendra. C'est déjà arrivé.
Devant sa joie, son père décida qu'il était temps d'aller au carré..."se rafraîchir le gosier", préparer la collation. Il avait soif, faim, après une fin de trajet tumulteuse. Une machine en moins. Des heures de travail en plus. Dans la graisse et le bruit.
Ils sortirent des 3m2. S'étirèrent dans le dédale. Arrivèrent dans l'espace le plus spacieux et convivial du cargo : le carré.
Tandis que père et mère s'entretenaient dans l'office, elle passait d'une banquette à une chaise, un fauteuil. Débusquait toutes les astuces rangement ou stabilisation. Envisageait le port par tous les axes des hublots. Choisit la table offrant la vue sur le grand large.
Les premières étoiles se formaient dans le ciel ; dominant une sombre mer plate.
(A suivre)
Le père reparti la vie à trois reprenait triste, monotone.
Petites éclaircies les heures au patronage. Surtout les minutes consacrées à l'instruction religieuse. Nanette arrivait toujours la première auprès de la soeur qui leur racontait, succinctement, les grandes étapes de la création et de la vie de Jésus.
A la cloche le fillettes abandonnaient leurs jeux. Formaient cercle avec l'adulte. Assises sur des chaises amenées au pied du platane. L'ensemble était assez attentif. Les quelques dissipées cessaient rapidement devant l'arrêt de la narratrice, ponctué par la réprobation de l'auditoire.
- Jésus avait fait beaucoup de miracles ; vous vous en souvenez. Il avait prêché partout l'amour. Le respect. La fraternité entre les hommes, les femmes , les enfants. Pourtant il fut trahi.
Trahi. Voilà un mot que Nanette détestait entre tous. Les gens méchants on peut les fuir. Les hypocrites : c'est plus difficile !
- En ce temps-là Jésus sortit et s'en alla selon sa coutume vers le mont des oliviers. Ses disciples le suivirent. Lorsqu'il fut arrivé dans ce lieu, il leur dit de prier, veiller avec lui. Jésus s'en alla un peu plus loin ; seul pour parler à Dieu, car il savait sa fin proche. Les disciples s'endormirent. Une troupe de gens arrivèrent guidés par Judas. Cet apôtre, l'un des douze, n'était pas venu avec eux. Pour de l'argent il l'avait vendu aux romains qui le cherchaient. L'occupant avait peur du royaume annoncé par Jésus. Ils ne cmprenaient pas, les romains, qu'il ne s'agissait pas de renverser l'empereur. L'empereur régnait sur terre. Etait attaché à l'or, les objets, les richesses souvent mal acquises...
Jésus annonçait le règne de l'amour entre tous les hommes comme seul vrai royaume. Le chemin du salut.
(A suivre)
Les fillettes étaient suspendues au récit de la conteuse. Il s'agissait pour elles surtout d'une histoire merveilleuse...Même si elles sentaient, "quelque part", qu'il y avait une différence avec les historiettes moralisatrices de la maîtresse, ou les contes des livres prêtés. Cette fois, elles sentaient qu'elles étaient concernées...avaient un rôle prévu...La perception était à la fois puissante et confuse.
- Judas s'approcha de Jésus pour l'embrasser. C'était le signal pour que les soldats l'arrêtent. Jésus se laissa prendre. Mener devant le tribunal. Puis Ponce Pilate, le chef romain. La foule se moquait de lui. Lui crachait dessus. L'injuriai...Le frappait...
Le coeur de Nanette s'affolait dans sa poitrine. Elle recevait les coups. Les injures.
- L'assemblée accusa Jésus devant le chef romain. "Nous avons trouvé cet homme qui pousse la Nation à la révolte. L'empêche de payer le tribu à César..".
- Mais c'est pas vrai ! S'exclama Nanette.
- Cet homme se nomme lui même le Messie. Roi des juifs. Pilate interrogea Jésus. Ne trouva rien à lui reprocher. Il savait, par sa femme, toutes les bonnes actions qu'il avait faites.
Nanette soupira, soulagée. D'autres aussi.
(à suivre)-
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