Avec le printemps revenaient les petits bonheurs...
D'abord on partait pour l'école avec le soleil. Les arbres bourgeonnaient dans la cour. Tout le monde était plus souriant.
Ensuite, la clémence du temps lui permettait d'accompagner sa mère quand le père revenait. Elles guettaient sur la rade le bateau. Assistaient au franchissement de la passe. Se positionnaient sur le quai. Surveillaient les longues manoeuvres pour accoster. Attendaient la passerelle. Puis, l'autorisation de monter. Prudentes sur les marches partiellement flottantes, elles arrivaient enfin sur le premier pont. Circulaient dans les coursives. Lisaient les noms sur les portes des cabines. S'engouffraient dans celle du père, laissée déverrouillée à leur intention. Car fallait généralement qu'il finisse un quart. Prenne une douche. Alors, tandis que la mère fouillait les lieux, elle s'assaillait sur la couchette haute. Rêvait devant le hublot.
Dans ces moments-là, la provençale se sentait bretonne. La mer la "travaillait aux tripes". Les poèmes de Victor Hugo, appris en classe, revenaient à son esprit...
Elle murmura...
Il est nuit. La cabane est pauvre mais bien close.
Le logis est plein d'ombre et l'on sent quelque chose
Qui rayonne à travers le crépuscule obscur.
Des filets de pêcheur sont accrochés au mur...
Tout près un matelas s'étend sur de vieux bancs
Et cinq petits enfants, nid d'âme, y sommeillent
...Et dehors blanc d'écume
Au ciel, aux vents, au roc, à la nuit, à la brume
Le sinistre océan jette son noir sanglot.
L'homme est en mer.Depuis l'enfance matelot
Il livre au hasard sombre une rude bataille.
Pluie ou bourrasque, il faut qu'il sorte, il faut qu'il aille,
Car les petits enfants ont faim...
....O pauvres femmes de pêcheurs !
C'est affreux de se dire ; mes âmes
Père, amant, frère, fils, tout ce que j'ai de cher
C'est là dans ce chaos !...
- Alors, comment vont mes femmes ?!
(A suivre)