- Mémé ! Tiens, de la pièce montée. Je viens un peu avec toi. C'est bruyant en bas ! Il fait une de ces chaleurs !
L'aïeule ouvrit les yeux. Sourit.
- Tourne-toi un peu que je te regarde bien. On dirait une mariée ! Tu es si grande pour ton âge ! Tant mieux, car je ne te verrais pas ce jour-là...
- Mais si mémé ! Faut pas dire ça ! Mais pour la taille, tu as raison. J'ai eu beaucoup de mal à trouver une aube d'occasion. Il a fallu donner tout l'ourlet de celle que Mme Panisse avait acheté l'an passé pour sa fille.
- C'est pas grave ça. Tu as bien prié ? Maintenant tu dois être encore plus raisonnable. Aller à la messe tous les dimanches. Ne pas pêcher. Bien respecter les 'dix commandements". Ne pas manger de viande le vendredi...
- J'essaierai Mémé. Je veux bien faire.
- Tiens. C'est pour toi. Je le garde précieusement depuis des mois.
L'aîeule sortit un vieux portefeuille de derrière son oreiller. Tira un billet. Le déposa dans la main de la "petiote" étonnée. c'était la première fois qu'on lui donait un billet.
- Et, ne le montre pas à ta mère !
- Viens Nanette ! Les parents veulent te donner leur cadeau. Certains doivent partir, ayant une longue route à faire pour rentrer.
La mère ouvrait la porte, toute guillerette. Vit la main fermée de sa fille. La mine contrariée de l'alitée.
- Allez. Viens. Tu remonteras tout à l'heure, montrer tes cadeaux à mémé.
Nanette descendit.
Ce fut avec surprise qu'elle vit chaque invité lui remettre un présent.
Elle n'avait pas l'habitude de recevoir quelque chose. Ni à Noël. Ni lors des fêtes ou anniversaires. Les seules petites surprises venaient du père ; au gré de ses économies et des voyages...
Ainsi reçue-t-elle sa première montre de sa marraine ; un missel d'une grand-tante gouvernante chez un névêque ; un stylo ; un pull-over de sa mère.
Elle remercia. Abasourdie.
C'était quant même bien agréable de recevoir des présents...
Même si l'occasion ne lui semblait pas la plus judicieuse. La Communion étant une fête spirituelle.
La famille proche partit très tard. Après une promenade digestive dans la campagne. Un diner fait de restes.
Tous étaient très enchantés de leur journée. Des agapes et libations.
Jamais elle n'avait vu son grand-père si heureux. Complimenté pour son cru 47 !
Grandiose !
C'était grandiose à plus d'un titre...
Des deux pièces de 32 m2, sans commodités, de la rue de la savonnerie, ils arrivaient au douzième et dernier étage d'un H.L.M. flambant nef. Parfumé aux plâtres et peintures qui sèchent.
Un grand séjour. Une petite cuisine avec balconnet. Deux petites chambres. Des WC. Une petite salle d'eau avec baignoire-sabot. Un grand balcon plein sud. Face à la Bonne-Mère !
La collégiene se sentait renaître.
La mère n'arrêtait pas de faire des projets d'ameublement.
Le père, aux prochains congés, avait son temps organisé : peintures, tapisseries...
Seul bémol : il y avait une chambre pour deux enfants.
Quand le père était absent : le fils occupait la chambre sans balcon ; tandis que sa soeur dormait avec sa mère. Quand le père était à la maison : la fille dormait dans la chambre, son frère sur le canapé-lit du séjoiur.
Cependant, chacun avait une zone personnelle pour son travail scolaire.
Le garçon bénéficiit d'un bureau demi-ministre en pin massif, avec étagères assorties, dans la chambre.
La fille travaillait sur un secrétaire dans le séjour.
Il fut annoncé, par les parents, que ces dispositifs étaient leur bien propre. Pour la première fois, ils avaient un meuble qui leur appartenait.
Nanette remercia le sort de l'attribution de ce logement. Pour cette vue imprenable.
Côté sud : la Vierge de la Garde.
Côté nord, l'enfilade des kilomètres de quais de la Joliette à l'Estaque.
Quel plaisir, par beau temps, grâce aux jumelles données par mémé, de guetter l'arrivée du bateau paternel. De faire le grossissement pour reconnaître la bonne cheminée...
Ah ! La première douche !
Douze ans passés. Indicible. Une nouvelle naissance ! Elle serait restée des heures à flotter dans la baignoire-sabot !
Pendant plusieurs semaines une joie complète envahit la famille...découvrant les bienfaits de tous ces petits bonheurs quotidiens. Propreté de l'environnement. Espace. Sanitaires privés. Vue sur la ville...
Puis une nouvelle routine s'installa.
Les enfants allaient à l'école. Faisaient leurs devoirs. Deux dimanches par mois l'un et l'autre sortaient grâce au scoutisme...
Le reste du temps...logement.
Pas question de descendre jouer ou bavarder dans la rue avec les copains ou les copines dont on avait fait la connaissance en classe !
On inscrivit le petit au catéchisme ; pour qu'il reçoive les sacrements rituels.
Nanette, à l'étonnement de sa mère, s'inscrivit aux "persévérantes".
Pour l'adulte, comme la plupart des ouailles, après la communion : rien. Sauf la messe dominicale, pour les plus sérieux. Ou "faire ses Pâques", pour les plus "décontractés".
Nanette avait une foi exigeante.
Elle souhaitait approdondir ses connaissances.
D'autant que le curé de sa nouvelle paroisse était très appliqué. Il recevait une fois par semaine les grandes. Tous les sujets pouvaient être abordés. Il étayait ses démonstrations de citations, de ses souvenirs de prisonnier dans un camp de concentration...
A la fin de la réunion, souvent elle allait le voir dans son bureau. Lui posait les questions complémentaires qu'elle n'avait pas osé émettre devant les autres.
Chaque fois il lui prêtait des livres sur toutes les religions du monde. Confucianisme. Taôisme. Boudhisme. Islam. Protestantisme... Sur cette dernière il était plus prolixe ; prétendant qu'il s'agissait d'une multitude de sectes.
De toutes les manières, en fin de discussion, il insistait sur le fait que la religion catholique était la seule qui libérait vraiment l'homme et faisait à la femme un part égale.
Ainsi, incomprise par sa mère, la brebis continua à parfaire ses connaissances religieuses à l'église du Bon Paseur.
Elle était la plus assidue.
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