Elle embrassa. Fut embrassée. Monta au plus vite dans sa chambre.
Pourquoi tant de monde ? Que venaient faire tous ses gens ?
Ils lui volaient ses adieux !
Elle ne fut admise ni à la veillée, ni à l'enterrement. Trop jeune. Trop sensible.
Le glas sonna à trois reprises, à dix minutes d'intervalle.
La dernière fois le curé arriva avec deux enfants de choeur.
Les hommes avaient posé le cercueil sur le corbillard. Une foule immense d'hommes et de femmes marchèrent lentement derrière les chevaux, le Sacrement...
Elle n'avait pas pu rester seule quelques minutes avec sa mémé...
Soudain, elle réalisa que son oncle pleurait à chaudes larmes. A côté d'elle. Trop émotif, il était dispensé de cérémonie et chargé de garder les deux enfants.
Lui aussi avait grande peine.
Elle avait été sa mémé avant d'être la sienne. Ils étaient les deux qu'elle défendait toujours devant l'autoritarisme maternel...
Elle aimait bien cet oncle. C'était un brave type...Même si certains riaient sournoisement de son niveau scolaire...Il avait bon fond. toujours prêt à rendre service. Pourquoi avait-il si peu de chance. Etait-il célibataire à trente-cinq ans...Il se "décarcasserait" certainement pour sa femme...
Assis chacun d'un côté de la table... cette petite cuisine lui parue immense...Ils attendaient, noyés dans leurs larmes, leurs pensées, que les adultes reviennent.
Elle éprouvait, pour la première fois, un immense vide en elle.
Une petite mort.
Pourtant, il fallait bien que la vie continue...
Les collégiennes se pressaient de rentrer pour avoir le temps de relire quelques leçons avant la composition trimesstrielle de l'après-midi.
Un soleil éblouissant rayonnait dans le ciel bleu azur, purifié par maître Mistral la veille.
Subitement, le regard de Nanette croisa celui d'un grand ado blond, aux yeux bleu.
Mais un regard...doux ...du velours...
Ils vécurent une étincelle intime. Un contact secret, partagé...Les marches se croisèrent...
Nanette se sentit rougir jusqu'à la pointe des oreilles. N'osa ni se retourner, ni regarder sa copine, qui poursuivait son commentaire de la matinée.
Elle fut soulagée de la séparation. Dès souhaits rituels.
Elle oublia de remettre ses chaussettes dans l'ascenseur.
Heureusement, la mère préoccupait par les plans pour l'ébéniste ne remarqua rien.
La collégienne alla vite enfiler ses chaussettes dans les toilettes.
A la fin du repas...impossible de se concentrer sur les leçons à réviser. Ni les guerres médiques. Ni les ressources des U.S.A. Quelle question : histoire ou géographie ?
Elle ne voyait que ce regard...doux...comme du velours...
Le lendemain, alors qu'elles sacrifiaient à leur course contre la montre de la mi-journée, en grimpant allégrement la méchante côte menant à leur quartier...
- Alors BB, tu veux que je te fasse un scoubidou !?
L'interpellée partit dans une fougueuse réplique, tout en pousuivant le chemin.
Nanette marchait silencieuse.
L'apercevrait-elle ?
Au coin de la rue. Nouveau coup au coeur. Ivanhoé ! Il était là. Devant elle. Entier.
Vraiment le sosie d'Ivanhoé. De Roger Moore.
Hier elle n'avait ressenti que le regard.
Ils s'écartèrent en rougissant afin d'éviter la collision.
Lui sur la chaussée.
Elle contre l'immeuble.
En plus d'avoir un doux regard...il était beau !
Inconsciemment elle lui prêta les qualités du héros : courageux, bon, astucieux...
- Tu pourras venir à mon anniversaire samedi après-midi ? Dis ! Tu réponds ? Tu es sourde !
- Excuse-moi. Venir chez toi ? Non. Ma mère ne voudra pas. Elle m'interdit d'aller chez les autres. Elle veut que je ramène personne à la maison...
- Dommage. On s'amusera bien. Mes frères voudraient te connaître.
- Plus tard. Peut-être...
Dès le locataire du 5ième sorti, elle remit ses chaussettes.
Elle l'avait croisé ! Son preux chevalier. Le garçon qui occupait ses pensées depuis trois jours. Il avait rougi. Donc lui aussi l'avait remarquée.
Toute l'année scolaire fut ensoleillée ou obscurcie par cette minute d'espoir quotidien.
Minute de croisée des chemins qui s'allongeait car chacun ralentissait le pas pour faire durer le plaisir...ou s'enhardissait à risque un couip d'oeil arrière ponctué d'un sourire...Plaisir silencieux de se revoir. Emus. Muselés par une timidité réciproque...
Lorsqu'elle ne le croisait pas elle s'inquiétait. Etait-il malade ?
Sa journée, bizarrement, était plus triste.
Le soir elle pensait à lui avant de s'endormir.
Peut-être était-ce mémé qui, du ciel, guidait cette rencontre.
Cette mémé qui lui manquait tellement. Elle avait tant de remord pour ses feintes du matin.
Tant que pour se racheter elle avait demandé à son confesseur de lui indiquer une grand-mère seule ; afin de lui apporter le réconfort d'une visite.
Tout en la rassurant sur sa faute vénielle, il lui avait communiqué l'adresse d'une vieille dame abandonnée par sa famille. Elle ne recevait que deux visites par an. Celle des "petits frères des pauvres", à Noël et Pâques.
Elle y allait deux fois par semaine, les jours des persévérantes.
La vieille dame était ravie d'avoir des visites régulières. Même pas trop longues. Elle lui montait deux seaux de charbon de la cave. Bavardait un peu. Parfois lui faisait un cake.
A l'occasion d'un de ses passages la solitaire lui remit son bien le plus précieux : un livre. Un prix d'honneur décerné à l'école, racontant le voyage à Lhassa, au Tibet, de la première femme européenne Alexandra David Neel...
Nanette, gênée voulait refuser. Elle lui mit doucement, de force, dans les mains ce prix de la ville attribué pour ses mérites.
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