Cet hiver-là l'écolière apprit la valeur du terme " rigoureux" !
Rigueur du temps. Hiver 54...
Corps frigorifié. Pieds gelés. Mains cyanosées. Hantise de la chute.
Rigueur de l'esprit. Regards assassins de la maîtresse d'astreinte qui ne manquait pas, chaque jour, de lui demander pourquoi sa maman l'envoyait :
- Tu ne peux pas rester chez toi ! Tu vois bien que tu es la seule à venir !
Pourtant elle n'était pas difficile...passant toutes les heures à lire les ouvrages enfermés dans la bibliothèque de la classe.
Rigueur du coeur. Un coeur assoiffé de tendresse qui rentrait seul à la cage. Se cachait presque aussitôt le repas terminé sous la couverture de la paillasse, dans le recoin du sas ; tandis que mère et bambin dormaient dans la chambrette. Douloureuse solitude. Ni mémé. Ni papa.
Fallait survivre à ce désert affectif.
Alors, dès que son corps s'était réchauffé, que les mortifications de la journée étaient digérées, Nanette prit l'habitude de penser. Recréer le monde.
Un jour...
Son père resterait chez eux. Ils habiteraient une vraie maison. Dans une vraie nature. Mémé vivrait avec eux, aurait sa chambre.
Tous les enfants mangeraient à leur faim ; ce qu'ils voudraient.
Toutes les écolières porteraient de jolies robes ; avec des couleurs gaies.
toutes les maîtresses seraient gentilles avec les petites filles seules en classe ; s'occuperaient d'elles au lieu de les gronder.
Tous les clochards auraient une habitation et ne mouraient plus dans les rues...
Bras repliés sur ses oreilles, pour atténuer les bruits de la rue, elle s'endormait enfin. Pelotonnée comme un petit chat dans sa corbeille. Inventant un monde meilleur.
(A suivre)